Hello,
Vous êtes sur la partie "journal" de mon site, les backstage de mon travail. J'ai adoré lire (d'une traite) les coulisses de Paul Cox dans son livre Jeu de construction, aussi j'ai eu envie moi aussi de partager pendant le confinement mon background, mes inspirations, mes rencontres car elles sont aussi intéressantes que les travaux finaux. Je n'entends pas par là que mes travaux sont intéressants mais que tout ce qui les a fait naître l'est certainement plus pour vous ! Ce qui me plaît dans la création des autres, c'est leur cheminement. Et ce cheminement, il est rarement dévoilé. Quand je découvre des documentaires comme Atelier A sur Arte où les artistes expliquent leur travail, c'est une vrai bouffée d'air. Le résultat est fondamental, c'est ce que tout le monde verra. Donc toutes les étapes du travail doivent être aussi suivies que les autres mais les méthodes, les sensibilités des uns des autres, ce qui fait au final qu'un travail est unique, ça c'est magique quand on peut en saisir un "bout"... ça rapproche dans un sens. On a l'impression d'avoir connu une partie de l'intimité de l'artiste, dont on apprécie le travail pendant qqs minutes lors d'une exposition, en lisant un livre ou en touchant une sculpture. Connaître un fragment de la recette me procure toujours un bien fou !
Voici alors qqs "bouts" que je vous livre à vous curieux du métier de designer, procrastinateur, chomeur partiel à cause du corona virus, étudiants qui vous posez toujours cette question "Mais comment t'as eu l'idée"... parce qu'on ne crée jamais rien, on transforme toujours tout et je donne à voir aujourd'hui toute cette matière géniale que je transforme moi, matière sans qui ne suis rien ! Mon bloubiboulga.
Sonia
26 AVRIL 2020
Merci Tom Cruise
La meilleure surprise de ce temps de confinement vient de l'artiste Alice Mulliez que je connais depuis quelques années maintenant. J'avais découvert son travail qui m'avait interpellé dans une émission télévisée à laquelle elle participait sur Arte il me semble. Suite à ça je lui avais envoyé un message pour lui dire mon envie de la rencontrer. Nous nous sommes alors vues pour la première et l'unique fois au 104 à Paris où elle était en résidence. Elle m'a fait découvrir ce sur quoi elle travaillait : une fouille archéologique de 100m carré entièrement faite de sucre appelée Vestiges. Génial !
Depuis nous nous suivons grâce aux réseaux sociaux et pensons l'une à l'autre régulièrement. Si je déteste les réseaux sociaux pour ce qu'ils sont pour moi une perte de temps totale mais j'y conserve une vitrine pour être présente professionnellent et aussi pour ces quelques personnes qui respirent la bienveillance - comme d'ailleurs une autre artiste intéressée par le culinaire elle-aussi (l'usage du culinaire ferait-il des gens sympathiques ?!), Delphine Huguet.
Et donc Alice partage il y a quelques jours un article sur la maison d'édition du Motel - que je ne connaissais pas et qui a l'air très drôle- et son projet La faim des haricots. Toutes les pépites déjà écrites par d'autres ont surexcitées mes méninges ! L'idée: que tout un chacun partage son expérience culinaire pendant ce temps particulier du confinement. C'est drôle car je travaille sur le même sujet avec un groupe d'étudiants dont je vous reparlerai prochainement. Les expériences de chacun n'ont rien à voir avec ce qu'on peut lire finalement d'impersonnel sur les réseaux sociaux et ce pourquoi je n'y trouve aucun intérêt. Ici les gens se lachent, sont créatifs, drôles, touchants... Chaque histoire est une perle. J'ai donc eu envie d'y participer. Voici ma fiction (car je n'ai pas d'enfants!). Merci Les éditions du Motel.
07 AVRIL 2020
Lettre à Dieter Rams
Le talentueux et inégalable designer Dieter Rams explique que pour que les objets vivent longtemps ils doivent être le moins designés possible. Se faire discrets. Je partage son avis mais ne l'applique pourtant pas à mon travail. J'ai toujours dessiné des objets un peu bavards. Designer le moins possible et obtenir un objet sublime c'est un tour de force que promis Dieter je vais m'efforcer à faire post covid 19. Ceci dit Dieter vous savez, objets bavads ne riment pas avec gadget pour autant, chose que tous les 2 nous répugnons. Car il y a bavardage et bavardage. La phrase qui fait mouche, les allocutions efficaces voilà ce qui me plaît. C'est ce que je vois par exemple dans la bouilloire de Nacho Carbonell. Elle raconte le liquide chaud qu'elle enferme. Elle signifie sa fonction. En un clin d'oeil on comprend ce à quoi cet objet sert: c'est une des conditions que vous fixez pour faire du good design non? Nacho Carbonell ne rajoute rien de superflu à cette forme qui s'affaisse.
Tout comme la bouteille Evian redessinée par mon idôle Hella Jongerius. L'eau provient d'une montagne enneigée, aussi la partie supérieure de la bouteille est traitée dans un plastique opaque blanc. Puis la glace fondra et s'écoulera en minces filets transparents dévalant les pentes. Ce mouvement est donné à voir par un relief sinueux en plastique logiquement devenu translucide cette fois-ci. Aucune représentation du Mont Evian sur cette bouteille, mais celle du chemin de l'eau en devenir, celle que nous nous apprêtons à boire. Cette représentation fine me semble essentielle pour illuminer de poésie notre quotidien. Elle ne le charge pas de superflu mais de la beauté de l'essence des choses. Non pas parce que nous l'avons oubliée mais parce qu'il n'y aura jamais trop de beautés dans le quotidien, en cela ce type de représentation me paraît pertinente. Qu'en pensez-vous Dieter?
30 MARS 2020
Try tried tried
Le problème dans notre métier ce sont les dead line. Toujours trop courtes. Le temps de la conception et de la fabrication sont toujours sous-estimés. Oui c'est important pour finaliser des choses, de mettre des dates, mais souvent cette fin arrive un peu trop tôt. Marije Vogelzang dit que l'important ça n'est pas la réponse donnée mais les questions que le designer apporte. Je comprends son point de vue mais un monde remplit de questions sans réponses serait vraiment un grand n'importe quoi. "Tu veux du sucre? Du sucre, pourquoi du sucre? T'en veux pas? Et si on se remettait à apprécier l'amertume? Ok, donc pas de sucre. Pourquoi pas de sucre? Sais-tu d'ailleurs où il est produit celui-là?..." enfin vous voyez quoi.
Avec l'architecte Estelle Fort, on a travaillé il y a quelques temps à une séparation entre deux espaces de jeu pour le Vaisseau: une sorte de cité des sciences pour enfants. On a étudié les fonctions et le rôle qu'elle devait prendre. Cet exercice est devenu existant tellement à la base il ne l'était pas: comment créer du sens à travers une simple paroi. Et on en a fait des versions, encore et encore et encore... On adorait ça ! A travers une simple ligne, on pouvait finalement raconter une foule de choses significative pour ce lieu. C'est la petitesse de la demande et les contraintes fortes qui ont rendu le projet stimulant.
Bien sûr celle choisie par le commanditaire n'était pas notre favorite. L'audace est l'apanache des créatifs et tout l'enjeu est de la faire accepter par nos clients, ça ne marche pas toujours mais l'important est d'essayer. Finalement, on est un peu comme des sportifs de haut niveau, on s'entraîne beaucoup, on a un haut degré d'exigence et parfois on transforme l'essai. Pas toujours mais quand ça arrive c'est fabuleux ! Quand les projets finissent comme on les avait rêvés (ce qui n'est pas si fréquent), c'est comme quand un champion monte sur la première marche du podium: un sentiment exhaltant !
Juste après la fin de mes études à la HEAR, je postulais à beaucoup de résidences en ayant bien sûr encore aucune expérience professionnelle. Un ami, le talentueux artiste Vincent Carlier, m'avait dit ceci : "Tu déposes 20 dossiers (ou peut-être même plus) pour 1 réponse positive." Heureusement qu'au bout de 15 ans les choses changent ! L'audace finie par modeler nos projets et on n'a plus besoin d'user de beaucoup de persuasion pour la faire accepter. On vient même vers vous (ou pas) pour elle, justement. Ouf ! Merci le temps. Merci à tous les "Malgré l'intérêt que nous avons porté à votre projet, nous sommes au regret de vous dire...".
27 MARS 2020
Expliquer son métier - Encore et toujours.
Suis-je dans un Jour sans fin avec Bill Murray?
I hope not !
C'est quoi le design culinaire? Du design appliqué au moment du repas... silence... car en fait personne ne sait ce qu'est le design. Le design sert à améliorer le quotidien. Plus commumément à travers les objets, les espaces mais aussi ce que l'on mange, les sons qu'on perçoit. Il est presque partout.
Est-ce-que le design culinaire se mange forcément? Non. Il peut consister en une réflexion sur un objet lié au moment du repas. Par exemple des nouveaux plateaux pour serveurs qui rabattent les cartes de la bienséance (je remercie l'autre quand il me donne à manger, j'engage une conversation avec l'autre, je suis poli; car il est peut-être serveur mais ça ne veut pas dire qu'il est moins intéressant que toutes les autres personnes de la salle, d'ailleurs il fait sûrement, là en ce moment, des études de haut niveau).
Est-ce-que le design culinaire, c'est bon? On attend toujours que lors d'une prestation liée au design culinaire, il y ait du homard, des noix de St Jacques, des fleurs comestibles. Mais c'est se méprendre sur le but de ce domaine. Le but du designer est d'améliorer le moment du repas et même si ajouter du caviar dans son tup' le midi pour aller au boulot pourrait y contribuer, si vous avez des collègues casse-pieds ça ne changera pas la donne, la pause sera quand même ennuyante. Voici ce qui améliorera beaucoup plus votre repas - Petit expemple via ce projet qui critique la relation toxique que l'on peut avoir au travail et nos mauvaises habitudes d'y manger devant notre ordinateur. Ici les codes des grands restaurants sont repris (nappe en coton, broderie à la main, bijoux précieux...) pour le temps de quelques minutes nous faire croire que l'on est sorti du bureau. Bien plus drôle et créatif que de servir du caviar (Je ne trouve plus l'auteur de ce superble projet, si vous le connaissez envoyez-moi un message. Le clavier avec la pizza, c'est la très talentueuse Hella Jongerius)
Le designer culinaire travaille à tout l'environnement de votre repas, pas à ce qu'il y a dans votre assiette. Vous souvenez-vous de ce florilège de petits-fours au mariage il y a quelques mois? Comme ce moment a été ennuyeux... Et le cornet de frites sur le trottoir avec vos amis à Bruxelles? Génial, non? Voilà, vous avez tout compris ! Le plaisir du repas ne réside pas dans l'assiette. Et c'est avec tous les autres ingrédients, non alimentaires que le designer culinaire travaille. Les émotions, les coutumes, les traditions, l'écologie, la science...
En quoi le design culinaire peut-il m'aider à mieux manger? Il peut contribuer par exemple à manger moins de viande sans que tu n'aies à devenir végétarien ou avoir l'impression de te priver, sans t'en rendre compte finalement. Et c'est à cela que l'on reconnaît du bon design. Quelque chose qui marque son époque par son innovation et qui devient intemporel par sa justesse. Le design peut changer tes habitudes en douceur. Car si la radicalité est le secret pour certain pour changer les choses, elle n'est pas la norme. Carolien Neibling imagine ajouter des légumes, des insectes, des noix... à des saucisses de viande pour en réduire la teneur. La saucisse étant le produit industriel transformé le plus consommé, y toucher aurait un impacte immédiat mondial fort. Mais pour cela il faudrait que les industriels de l'agro-alimentaire laissent entrer les designers dans leur monde. Et pas que pour faire des jolis packaging qui vont booster les ventes hein ! Allez appelle-moi, on va essayer d'améliorer les choses. Oui toi qui fabrique des repas par millier. Ça te concerne aussi toi, l'hôpital, la cantine... Le bio dans l'assiette, les plats en aluminium pour remplacer le plastique c'est pas assez? C'est un grand pas, mais on peut faire encore mieux. A tout vite ! Ecris-moi.
23 MARS 2020
Chemin
Le chemin pour arriver à un résultat qui me plaît, il se fait aussi pas à pas. Il y a quelques mois, je devais concevoir une bougie avec l'association IDeE. Aucun sujet imposé, on avait carte blanche. La carte blanche, c'est bien mais c'est plus de travail car il faut déjà trouver son sujet qui normalement découle d'un contexte, d'un futur usage, d'un lieu... imposés par le cadre de la commande.
Là pas de commande, so what to do...? Je commence par regarder ce qui a déjà été fait. Là c'est un moment où je découvre des choses géniales, c'est excitant car je me dis que moi aussi je vais peut-être réussir à faire un truc génial du coup ! La seconde phase, c'est la réflexion. Une bougie c'est quoi, c'est quelle matière, on s'en sert quand, comment...? Décorticage en mille questions, les idées peuvent venir de partout. Je me suis arrêtée sur plusieurs choses et j'avais retenu deux idées. L'une d'elle se trouvait être la même - à qqs détails près que d'autres designers de l'association, les V8 designers (les 2 images avec les bouteilles sombres). On a le même âge à peu de chose près, des références similaires, donc forcément il arrive qu'on conçoive les mêmes choses. Il s'agissait pour nous deux d'une forme de bouteille qui devenait donc bougie.
Nous avons tous les deux abandonné cette idée et j'ai sur l'avis de tous commencé à affiner ma seconde piste. Le point de départ était un peu le même que pour la bouteille, l'idée de se passer de bougeoire. Mais alors ce bougeoire, quelle forme lui donner? Je suis simplement partie du fait qu'une bougie fond et qu'elle forme souvent ces belles flaques de cire arrondies et douces. La bougie est alors née de cette idée, de l'observation de la vie de la matière. Après avoir fait des formes qui ressemblaient plus à des gros caca mous, la forme s'est approchée de l'idée que l'on se fait de ces belles flaques justement.
Une fois la forme aboutie, il a fallu choisir la couleur. La couleur? Oh la la, aucune idée... Heureusement, en parallèle nous devions donner un nom à nos bougies. En réfléchissant au nom, j'ai pensé à lui associer une couleur. Donner du sens à la couleur en somme.
Le nom alors... Cette bougie, je la voyais sur une table, dehors, l'été, entourée de paroles d'ami.e.s, de saucisses, de poivrons marinés... d'un morceau de tarte aux cerises jusque tard dans la nuit. Elle a alors pris le nom de Minuit passé. Son nom raconte sa forme, le fait qu'elle ait vécue, coulée. A minuit passé, les bougies ont toutes fondu non? C'était parfait.
A cette heure-là quelle couleur voit-on alors? Du bleu nuit, du noir. Pas sûr que ces coloris aillent bien avec la forme. On a alors fait un essai de bougie en bleu foncé. Je n'étais pas convaincue et je n'arrivais pas à m'oter de la tête les couleurs vives qui étaient sur mes esquisses (à encore ces couleurs flash !). Et je me suis aussi dit que l'été, ça rimait avec coucher de soleil. Leurs couleurs justement très vives allant du orange au rose fluo... Nous avons alors avec Nathalie de La curieuse fabrique testé des fluo. J'ai trouvé les bougies plus parlantes qu'en bleu nuit. Nous avions aussi lancé des tests en couleurs pastel sans lien avec le nom, et c'est cette première version qui a été commercialisée après avoir remporté le plus de voix parmis mes amis. Mais à terme, je souhaite refaire un tirage en fluo donc plus cohérent pour moi et avec ajout pourquoi pas d'un parfum lié à l'été comme la citronelle ou le fumé du barbecue ! La hauteur de la bougie sera elle aussi revue à la baisse.
C'était "Le chemin de la naissance d'un objet", à + pour un autre épisode !
19 MARS 2020
Food for the soul
J'ai découvert ce tout petit livre génial. Il raconte l'histoire d'un tableau d'Edouard Manet datant de 1878, intitulé initialement Reichshoffen, le nom d'un café-concert parisien. Une toile qu'il a finalement décidé de couper en 2 et dont chaque partie se trouve dans des villes différentes Zurich et Londres. A l'occasion d'une exposition de 2005 "Manet retrouve Manet", les deux toiles ont été exposées côte à côte. L'élément principale qui les relie est une table: une partie se trouvant à droite de la toile et l'autre à gauche, qui forme une tablée une fois réunies.
On y découvre les personnages de la toile mais surtout on imagine des choses dans Tablée et on parle de cette table. Petit extrait superbe : "Qu'est-ce-qu'une table? C'est un opérateur social merveilleux, une césure entre les corps, qui espace les corps les uns des autres et les distribue, qui fait des corps des antagonistes pacifiés. La table semble prendre la place des hommes; mais non, en réalité elle en donne. Que serions-nous sans des tables pour nous séparer? Car une table sépare, comme on dit "il faut les séparer de deux allumés qui commencent à s'aggriper."
Je travaille depuis plus de 10 ans autour de la question du repas. Ce qu'il raconte de nous, de notre société, de nos habitudes... Voici quelques projets autour de l'objet table justement - en vrac.
Les deux premiers projets sont de Marije Vogelzang. Le chemin de table, le truc qui d'habitude ne sert à rien, à part à être tâché, se fait ici facilitateur de passage de plats, et vecteur de messages à faire passer à l'autre, le mignon tout au bout là-bas, tu le vois pas? Ben oui la table, c'est aussi un espace de drague. Le second projet avec les serviettes de table géantes qui gâchent ta tenue si longuement choisie, abolie justement cette frontière codifiée par les looks des uns des autres. Ici tout le monde ressemble à rien et peut donc débuter pourquoi pas encore une fois, la drague. Dans ce projet-ci les assiettes sont coupées en deux et hormis - époque de corona virus - c'est une bonne idée pour échanger avec l'autre, cet inconnu en face de moi. Je lui passe la moitié de mes tomates, il me passe la moitié de sa mozza et hop on a tous une super entrée.
Tu t'es toujours demandé ce qu'était le design culinaire? Et bien voilà, c'est notamment ça.
18 MARS 2020
Le travail c'est comme tout, step by step !
En 2017, sur l'invitation de Gilles Millon de la CIL, je réalisais pour la foire du livre de Francfort des kouglofs revisités à ma manière et exposais les moules réalisés par IDeE. Suite à ça, j'ai eu l'idée de continuer, juste pour m'amuser. Finalement en le faisant, je me suis posée la question de la tradition. Finalement pourquoi dans un moule banal rond, je mets plein de recettes différentes et dans le moule à kouglof, il n'y a que la recette traditionnelle salée ou la sucrée. On ne trouve chez aucun boulanger un koug au citron par exemple. Cela a forcément aussi remis en question d'autres choses comme la production des moules par les potiers. Elle aussi elle reste très traditionnelle: les moules sont inlassablement (enfin si en fait et c'est là le problème) rouge, bleu, beige depuis...pppffff on ne sait même plus.
Le sujet du poids de la tradition dans la création était finalement un sujet en soi que j'avais envie de traiter. L'idée d'un livre a alors germé et en quelques jours je trouvais une magnifique maison d'édition pour faire vivre mon idée. Cette maison d'édition c'est Kéribus. Je l'avais rencontrée pour la première fois au salon du Livre gourmand de Périgueux auquel je participais pour valoriser mon livre Initiation au design culinaire (éd. Eyrolles). Je faisais une petite pause et marchais dans les allées du salon quand mes yeux se sont arrêtés sur deux bijoux: Histoire de pains de Geneviève Hofman et Cuisson(s) de Keda Black (incroyable ce nom, non? !). Et les autrices étaient en plus là à leur poste, pas en pause comme moi !
Nous avons donc discuté et ces femmes comme la maison d'édition n'ont plus jamais quittés mon esprit.
En ce moment se construit donc Coolglof, un livre sur une tradition alsacienne bien ancrée en 2 volets: une partie historique qui parle de l'histoire du moule et de la brioche et une partie contemporaine qui sera traité à travers 100 nouveaux visages de kouglofs que je réalise moi-même. Stay tuned !
Tout ça pour en revenir au topic du jour: la création du travail-même. Comment naissent finalement les projets? Chez moi, ils naissent toujours comme ça, "step by step" : d'une envie personnelle et de rencontres du hasard. A un moment donné, les deux matchent et il faut saisir la balle au bond, écouter ses instincts et faire le lien, être vif, ne pas laisser filer l'instant. Mais pour ça, il faut être curieux, aller à la rencontre de, voyager, oser, car le hasard ça se cherche aussi... On a rien sans rien comme disait mon grand-père, so go go go people !
Le livre Coolglof verra le jour à l'automne 2020, soit 3 ans après mes premiers essais de koug revisités à la Foire du livre de Francfort. Le temps de la maturation de l'idée, car le temps de faire le livre lui a été très rapide.
16 MARS 2020
La partie immergée de la création
Une amie (talentueuse illustratrice) Shirley Freudenreich m'a dit un jour en regardant mes pièces à une petite exposition que je tenais d'un retour de résidence en Chine "Il y a toujours du jeu dans ton travail, c'est toujours joyeux". C'est intéressant d'entendre les autres parler de son travail car ils synthétisent ce que vous ne voyez parfois pas vous-même. C'est vrai que quand je regarde le travail que j'ai fait depuis 15 ans, la couleur est très présente, l'aspect ludique aussi oui. Pour autant je n'ai jamais cherché à mettre de la couleur pour en mettre ou à me servir du ludique pour amuser, tout ça est bien sûr très contrôlé. Chaque ingrédient ayant un sens en design, je ne choisis rien au hasard. Mais intrinsèquement, ces aspects-ci ressortent souvent de mon travail.
Alors je me pose la question. Pourquoi cette ligne qui se dessine comme le voit si bien Shirley alors que moi-même je ne suis pas spécialement attirée par les couleurs et le ludique n'est pas mon leitmotiv ? Je déteste les jeux de société, les jeux vidéo, les parcs d'attraction (hormis le train fantôme) ... bon ok, j'adore les blagues... Pourquoi alors cette récurrence esthétique et conceptuelle entre chacunes de mes commandes, chaque projet personnel ?
J'ai grandi à Manille aux Philippines où le soleil brille 360 jours sur 365. La lumière y est si vive que c'est comme si mes yeux avaient depuis gardé le filtre "pop" de certains appareils photo. Les couleurs vives étaient partout: la mer n'était pas bleue, elle était turquoise, les coraux et les poissons que je voyais avec mon petit masque, multi-colors, la végétation, vert-brillant, les fruits, fluo, ma peau, rose bonbon souvent chauffée par le soleil... Je pense que notre environnement présent mais surtout passé, a un impacte inconscient fort sur la manière dont on crée. Quand on regarde le travail des frères Bouroullec par exemple, on voit la présence de la nature. Son omniprésence presque. Ils sont nés et ont grandi en Bretagne. Leurs objets s'appellent Slow chair, Nuage, Branches, Algues, Facettes, Panier, on voit dans le vase Erkkeri and Fleurs l'eau couler, les tables Nesting invitent bien à se lover chez soi comme dans un nid...
Quelle part de conscient et d'inconscient y a-t-il dans le développement de chacun de leur projet ? C'est impossible de le savoir... aussi c'est fantastique de se le dire ! Si chacun s'écoutait et faisait fi des modes et des tendances, il ferait naître qqch d'unique et de personnel. En cela, d'intéressant à mon sens. Et finalement quand vous regardez ce qui vous plaît le plus, c'est toujours justement ces outsiders, ces personnes qui sont hors des modes. Parce qu'ils sont sincères. Sans rien chercher d'autre que la justesse, ils font. Ils font avec eux-même et la contrainte de la commande. Et le résultat ne me plaît pas toujours mais il est sincère. En cela, beau.